Note : Cet article est le deuxième d’une série de 6 sur l’autisme
Dans ce deuxième article sur l'autisme, nous aborderons les notions de prévalence, les causes et le genre. Poirier et Leroux-Boudreault (2020) préfèrent parler de prévalence avant les causes, elles ne sont pas les seules et je vais donc suivre cet ordre.
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Prévalence
Comme nous l’explique Poirier et Leroux-Boudreault (2020), la prévalence est « une mesure de l’état de santé d’une population qui permet d’évaluer le pourcentage de la population touchée par un trouble, une maladie ou une situation » (p. 22). Cette mesure est une comparaison du nombre de personnes présentant la condition avec le nombre total d’individus recensés. La prévalence est généralement exprimée sous forme de fraction (1/24), de pourcentage ou par le nombre de cas sur 10 000 ou sur 100 000 (Poulin et al., 2020).
Tous les auteurs disent la même chose : le taux de prévalence de l’autisme augmente de façon très importante ces dernières années. Lussier et al. (2017) font le parallèle avec l’augmentation des données disponibles : une recherche dans les moteurs de recherche (en 2017) peut générer plus de 3500 articles sur le sujet, alors qu’une telle recherche en donnait moins de 500 au début des années 2000. Des Rivières-Pigeon (2019) précise que les études montrent que l’autisme est passé, en moins de 40 ans, d’un diagnostic rare (affectant environ un enfant sur 5 000 en 1975) à l’un des troubles du développement les plus fréquents. D’ailleurs, l’Organisation des Nations unies (ONU) a déclaré en 2012 qu’étant donné l’augmentation fulgurante de son taux de prévalence, le TSA est maintenant considéré comme une préoccupation mondiale (Poulin et al., 2020). Cette augmentation est marquée et graduelle comme le montre le tableau ci-dessous.
Année | Prévalence |
Avant les années 1970 | 2-3/10 000 personnes (aux É.-U.) |
Dans les années 1970-1990 | 4-5/10 000 personnes (aux É.-U.) |
Dans les années 1990-2000 | 40-67/10 000 personnes (aux É.-U.) |
En 2000 | 1/150 (ADDM aux É.-U.) |
En 2006 | 1/110 enfants (aux É.-U.) |
En 2008 | 1/88 (CDC aux É.-U.) |
En 2012 | 1/68 (ADDM aux É.-U.) |
En 2013 | 1/100 à travers le monde (DSM-5) |
En 2014 | 1/68 enfants (CDC aux É.-U.) |
En 2017 | 1/46 enfants (étude québécoise en Montérégie) |
En 2018 | 1/66 enfants (Agence de la santé publique, au Canada) |
En 2020 | 1/54 (CDC aux É.-U.) |
Source : des Rivières-Pigeon, 2019 ; Poirier et Leroux-Boudreault, 2020 ; Poulin et al., 2020
ADDM : Autism and Developmental Disabilities Monitoring
CDC: Center of Disease Control and Prevention
Il est intéressant de noter qu’actuellement, aucune étude de prévalence ne permet de connaitre le taux de personnes ayant un TSA selon le niveau de soutien (voir mon premier article sur l'autisme pour des explications sur les niveaux de soutien).
Les scientifiques se posent des questions quant à cette augmentation, notamment celle-ci : cette augmentation est-elle « réelle » ? C’est-à-dire, y a-t-il vraiment plus de personnes autistes dans le monde ou bien cette augmentation dépend d’autres facteurs ? Par exemple, elle pourrait refléter un changement dans la manière d’établir le diagnostic. Des Rivières-Pigeon (2019) pense que cette augmentation est probablement en partie « vraie » et en partie « fausse ».
Quels pourraient être les facteurs expliquant cette grosse augmentation ? Poirier et Leroux-Boudreault (2020) questionnent l’élargissement des critères, l’augmentation de la vigilance des intervenants et les divergences dans les méthodes utilisées dans les études. Gillet et al. (2021) proposent les 2 facteurs suivants pouvant expliquer cette augmentation : de meilleurs dépistages du trouble chez les jeunes enfants et plus de diagnostics tardifs en particulier à l’âge adulte (ils ajoutent : « et probablement d’autres facteurs encore »). Poulin et al. (2020) proposent les hypothèses suivantes : la substitution diagnostique, l’omission diagnostique, l’élargissement des critères diagnostiques, le processus diagnostique et les facteurs méthodologiques. Des Rivières-Pigeon (2019) proposent aussi les trois premières hypothèses de Poulin et al. en précisant qu’elles ne sont pas mutuellement exclusives.
La substitution diagnostique signifie qu’une partie des enfants recevant maintenant un diagnostic de TSA recevaient auparavant un autre diagnostic (par exemple, celui de déficience intellectuelle ou celui de déficience langagière). Mais attention, bien que les études semblent montrer qu’une telle substitution ait bien eu lieu, celle-ci n’est pas assez importante pour expliquer l’entièreté de l’augmentation de la prévalence du TSA (des Rivières-Pigeon, 2019).
La deuxième hypothèse fréquemment évoquée est l’omission diagnostique. Cela signifie que des enfants qui n’auraient auparavant aucun diagnostic reçoivent aujourd’hui un diagnostic de TSA. Ceci pourrait s’expliquer par une meilleure connaissance du TSA par les professionnels de la santé, par le fait qu’un nombre important d’adultes pourrait présenter un TSA sans avoir été diagnostiqué étant jeune (principalement dans le cas du syndrome d’Asperger qui n’est apparu qu’en 1993, dans le DSM-IV). Mais encore une fois, attention : le syndrome d’Asperger représenterait seulement 9,4 % de la population ayant un TSA, ce qui n’expliquerait pas l’entièreté de l’augmentation de la prévalence (Poulin et al., 2020).
La troisième hypothèse fréquemment évoquée est l’élargissement des critères diagnostiques. Même si les critères n’ont pas changé entre 1993 et 2013 (dates des DSM-IV et 5), leur application a pu varier au fil du temps. Mais selon des Rivières-Pigeon (2019), cette hypothèse aussi résiste mal à l’analyse. Selon cette hypothèse, les enfants ayant une atteinte plus légère sont maintenant diagnostiqués. Mais rien ne dit que la hausse de la prévalence concerne uniquement le niveau 1 (autisme le plus « léger »), au contraire, il semble qu’elle concerne tous les niveaux (des Rivières-Pigeon, 2019 et Poulin et al., 2020). Finalement, le processus diagnostique et les facteurs méthodologiques pourraient expliquer, en partie, l’augmentation de la prévalence. Ce sont, par exemple, la procédure d’administration des tests, la précision des outils d’évaluation…
Comme le précisent Poulin et al. (2020), il faut être très prudent et vigilant lorsqu’on interprète les aspects pouvant influencer l’augmentation de la prévalence du TSA, car pour l’instant, aucune preuve scientifique n’existe. On ne peut confirmer scientifiquement et avec certitude que tel facteur influence l’augmentation de la prévalence du TSA.
Pourquoi est-ce si important de savoir si c’est une augmentation « réelle » ou pas ? Pour des Rivières-Pigeon (2019), en plus de son importance pour les scientifiques, elle est aussi cruciale pour les personnes autistes et leurs familles, car elle entraine des répercussions importantes sur les ressources qui sont allouées à l’autisme dans la société. Si le nombre d’enfants diagnostiqués TSA dépend uniquement de l’élargissement des critères diagnostiques, il n’y a pas besoin de plus de services. Mais si l’augmentation est « réelle », alors plus d’enfants ont besoin de services et la société doit donc augmenter la disponibilité de ces services (des Rivières-Pigeon, 2019). Dans le même ordre d’idée, savoir combien il y a d’adultes diagnostiqués TSA (et qui n’ont pas été diagnostiqués étant enfant) permettrait de développer (en nombre suffisant) les ressources dont ces adultes ont besoin.
Causes
Quelles sont les causes de l’autisme ? Les connait-on ? On a longtemps accusé les vaccins, bien que cette idée reçue perdure, la science a pu prouver qu’il n’en est rien ou en tout cas, elle n’a trouvé aucun élément allant dans ce sens. Pourtant, en 2017, plusieurs dizaines de familles ont déposé plainte contre quatre laboratoires pharmaceutiques, accusant leurs vaccins d’avoir causé l’autisme de leurs enfants (Rasmus, 2017). Même si les causes exactes ne sont pas encore connues, les chercheurs s’entendent pour que ce soit une combinaison de facteurs environnementaux, génétiques et neurobiologiques (Bouchard, 2020). Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas à cause des parents ni de l’enfant concerné, ni des vaccins, ni d’un trauma psychologique ou physique.
Attwood (2009) dit que « les travaux de recherche ont clairement montré que le syndrome d’Asperger était dû à un dysfonctionnement de certains systèmes et structures dans le cerveau. Bref, le cerveau est “connecté” différemment, non nécessairement de manière défectueuse » (p. 391). L’imagerie cérébrale joue un grand rôle dans les recherches des dernières années. Les chercheurs ont aussi identifié certains gènes associés à l’autisme (Bouchard, 2020). Les causes génétiques de l’autisme sont connues depuis longtemps, ce qui ne l’est pas c’est la part, le pourcentage, le poids, l’héritabilité (à quel point ces causes génétiques sont héritables). Mais des recherches en ce sens se font, notamment avec de « vrais » et « faux » jumeaux (Rasmus, 2017). Ces études, parfois controversées, sont complétées par des études rendues possibles grâce au séquençage du génome humain, soit des études menées par des généticiens.
Gillet et al. (2021) expliquent que le TSA (trouble du spectre autistique) est lié à un trouble du développement et du fonctionnement cérébral (une histoire de cerveau). Ils précisent aussi que les causes sont majoritairement génétiques, mais que génétique ne veut pas dire systématiquement hérédité ou déterminisme. Je trouve cette précision très importante, car souvent, quand on entend génétique, on pense hérédité, c’est en fait un peu plus compliqué que cela ! Oui, il y a un facteur héréditaire, mais le « calcul » n’est pas aussi simple que celui qu’on fait pour déterminer la couleur des yeux d’un bébé à naitre. D’ailleurs, dans les fratries, même si le fait qu’il y ait un enfant autiste augmente les probabilités pour les autres enfants, ça ne veut pas dire que 100 % de la fratrie sera autiste. Selon Poirier et Leroux-Boudreault (2020), si un enfant présente un TSA, la probabilité est 22,3 % plus grande qu’une sœur ou qu’un frère ait un TSA, et la probabilité monte à 30 % si deux enfants de la fratrie ont reçu le diagnostic. On parle de facteur génétique complexe, c’est-à-dire qu’il y a plusieurs facteurs génétiques avec des « poids » plus ou moins importants (Gillet et al., 2021). De plus, ces facteurs génétiques interagissent avec des facteurs environnementaux, qui ne sont pas non plus tous identifiés. Bref, à l’heure actuelle, il n’est pas possible pour un enfant donné d’identifier précisément les facteurs en cause ni leur « poids » respectif (Gillet et al., 2021).
Et les femmes ?
On a longtemps parlé d’une prévalence de 4 hommes pour une femme, c’est-à-dire que sur 5 personnes présentant une condition du spectre autistique, 4 sont des hommes et 1 est une femme (Gourion et Leduc, 2018). Mais ces chiffres sont remis en cause. Il semblerait que les femmes soient beaucoup moins diagnostiquées, et cela pour plusieurs raisons. Je vais vous en présenter deux. Premièrement, les premiers critères diagnostiques ont été élaborés sur des études portant majoritairement sur des garçons (enfants). Les manifestations autistiques étant différentes entre les hommes et les femmes, a fortiori entre les femmes et les garçons, celles-ci passent entre les mailles du filet des critères.
Une autre raison est qu’il semblerait que les femmes usent beaucoup plus de camouflage que les hommes. Elles masquent, camouflent, souvent en s’épuisant, elles se suradaptent pour avoir l’air « comme tout le monde ». D’ailleurs, le ratio garçons/filles augmente avec les capacités intellectuelles. Alors qu’il est de 2/1 chez les enfants TSA présentant une déficience intellectuelle, il passe à 6/1 chez ceux n’en présentant pas (Poulin et al., 2020). Cela abonde dans le sens de cette hypothèse que les filles sont plus en mesure de camoufler leurs manifestations autistiques, ce qui rend le diagnostic plus difficile pour elles. Il se pourrait que les attentes et la pression sociale, plus grandes chez les filles que chez les garçons, entrainent l’adoption du camouflage sociale chez celles-ci (Hénault et Martin, 2021).
Ce camouflage prend différentes formes : la modification sociale extérieure (comme se forcer à établir un contact visuel), éviter d’avoir des comportements inappropriés ou idiosyncrasiques (c’est-à-dire des comportements propres à une personne, qui sont donc inhabituels) (Poulin et al., 2020)… Le camouflage peut sembler être une bonne stratégie d’adaptation. Toutefois, celle-ci, en plus de rendre le diagnostic très difficile, semble rendre les filles et femmes l’utilisant plus vulnérables à l’épuisement et à une perte de leur propre identité. Stratégie à double tranchant donc. De plus, Poulin et al. (2020) stipulent que l’utilisation de ce comportement semble être liée à l’augmentation du stress et de l’anxiété chez les filles le mettant en pratique.
De plus, les femmes autistes (et particulièrement Asperger) vivent de l’errance diagnostic. C’est-à-dire qu’elles font face très régulièrement et pendant des décennies à de faux diagnostics (erreur diagnostic) ou à des diagnostics s’arrêtant aux comorbidités (ce sont les diagnostics associés à l’autisme, comme la dépression, l’anxiété et les troubles alimentaires, par exemple) (Attwood, 2018). Ainsi, il n’est pas rare qu’une femme recevant le diagnostic du syndrome d’Asperger adulte ait reçu dans le passé (parfois à tort) un diagnostic de trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), de trouble obsessionnel compulsif (TOC), de trouble d’anxiété (sociale ou généralisée), de trouble bipolaire, de trouble de la personnalité limite, de trouble dépressif majeur, trouble alimentaire (Hénault, 2021)…
Par chance, cette question de différence entre les sexes en matière de TSA fait l’objet d’une attention croissante. Ces dernières années, plusieurs professionnels se penchent sur la question (Poirier et Leroux-Boudreault, 2020). La condition féminine de l’autisme est ainsi de plus en plus investiguée et connue, ce qui permet de meilleurs diagnostics pour les filles et les femmes concernées. Toutefois, ce retard dans l’obtention de données sur les femmes ayant un TSA est source de préoccupation considérable pour Poulin et al. (2020), étant donné que l’intervention précoce aide à un meilleur pronostic à long terme. Ce que je comprends de cela est que les filles et femmes n’étant pas diagnostiquées tôt ne bénéficient pas des interventions qui les aideraient à mieux vivre au quotidien avec leur TSA.
Pour en savoir plus sur l’autisme, voir mes autres articles à ce sujet.
Références
Attwood, T. (2018). Le syndrome d’Asperger : Guide complet (4e éd.). De Boeck Supérieur.
Bouchard, G. et K. (2020). L’autisme raconté aux enfants. Éditions de Mortagne.
des Rivières-Pigeon, C. (2019). Autisme. Ces réalités sociales dont il faut parler. Éditions du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
Gillet, P., Guiet, A., & Bonnet-Brilhault, F. (2021). Trouble du spectre de l’autisme. Retz.
Gourion, D., & Leduc, S. (2018). Éloge des intelligences atypiques : Pas comme les autres, plus que les autres ! Odile Jacob.
Hénault, I., & Martin, A. (2021). Le profil Asperger au féminin. Chenelière éducation.
Lussier, F., Chevrier, E., & Gascon, L. (2017). Neuropsychologie de l’enfant et de l’adolescent. Paris: Dunod.
Poirier, N., & Leroux-Boudreault, A. (2020). 10 questions sur... Le trouble du spectre de l’autisme chez l’enfant et l’adolescent. Midi trente éditions.
Poulin, M.-H., Rousseau, M., & Bourassa, J. (2020). L’autisme : Comprendre et agir dans une perspective psychoéducative : Connaissances et pratiques psychoéducatives. PUQ.
Rasmus, F. (2017). Dans l’autisme, le rôle de l’hérédité est prépondérant. La conversation. https://theconversation.com/dans-lautisme-le-role-de-lheredite-est-preponderant-78384
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Mise à jour du 19 janvier 2023: Ajustement du nombre total d’articles dans la série.
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